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La grève, comment ça marche ? 1ère partie
lundi 1er janvier 2007
Nous voulons ici donner quelques éléments de droit pratique pour l’action syndicale, mais il va sans dire que ce ne sont que des outils dans la construction du rapport de force entre les travailleurs d’un côté, l’État et le patronat de l’autre, rapport de force qui reste primordial pour l’obtention de victoires sociales. Cet article est tiré du Combat syndicaliste, http://www.cnt-f.org/cs
Dans le privé
Les critères de la jurisprudence
À défaut d’une définition légale, la jurisprudence caractérise la grève comme « la cessation complète, collective et concertée du travail en vue de faire aboutir des revendications d’ordre professionnel ». Cette définition permet aux tribunaux de distinguer : • la grève licite (hypothèse dans laquelle les critères posés par la Cour de cassation sont remplis et où les salariés font un « exercice normal » de ce droit) ; • la grève abusive (hypothèse dans laquelle les critères posés dans la définition sont remplis, mais où les salariés exercent « anormalement » ce droit) ; • les mouvements collectifs illicites, auxquels ne s’appliquent pas les dispositions légales relatives au droit de grève et notamment celles qui assurent la protection de l’emploi des participants.
– a) La cessation complète du travail La grève se caractérise essentiellement par un arrêt total du travail. La forme et la durée de cet arrêt de travail importent peu. La jurisprudence qualifie ainsi d’exercice normal du droit de grève : • les débrayages, même répétés et de très courte durée, dès lors qu’ils ne procèdent pas d’une volonté des salariés de désorganiser l’entreprise ou de nuire à sa situation économique (Cass. soc., 10 juillet 1991) ; • les grèves tournantes, qui consistent en des arrêts de travail touchant successivement une catégorie de salariés ou différents services de l’entreprise (Cass. soc. 14 janvier 1960) sauf si elles désorganisent totalement l’entreprise. (Cass. soc, 4 octobre 1979).
– b) La cessation collective et concertée du travail La licéité de la grève n’est pas subordonnée à l’ampleur (pourcentage ou nombre de salariés concernés) de la cessation collective du travail. Sont admises les grèves qui ne concernent qu’une minorité de salariés (catégorie professionnelle, atelier ou service d’une entreprise, etc.), voire un seul salarié, dès lors que celui-ci obéit à un mot d’ordre national ou qu’il est seul salarié de l’entreprise. Mais attention, la poursuite de l’action par une minorité de salariés, après un vote de reprise du travail par la majorité (les grévistes ayant considéré leurs revendications comme satisfaites), constitue un mouvement de grève licite uniquement si cette minorité présente de nouvelles revendications.
– c) Les revendications professionnelles Cette notion est très large, puisque sont considérées comme des revendications professionnelles celles portant sur les rémunérations, les conditions de travail, la défense de l’emploi, les droits syndicaux, les projets de restructuration ou de licenciements économiques, etc. Par ailleurs, les revendications des salariés peuvent dépasser le simple cadre de l’entreprise (grèves générales nationales, pour les salaires ou les retraites, par exemple). En ce qui concerne les grèves « politiques », il est admis que les grèves « mixtes » (sur des revendications qui revêtent à la fois un aspect politique et un aspect professionnel, par exemple une grève contre la politique économique et sociale du gouvernement) sont licites. En revanche, seront considérés comme des mouvements illicites ceux qui revêtent un caractère purement politique, sans rapport aucun avec des questions d’ordre professionnel. Un autre cas spécifique est celui des grèves de solidarité. Celles-ci, qui ont pour but de défendre les intérêts d’autres salariés, par exemple pour protester contre des licenciements, ne seront licites que si les grévistes peuvent se prévaloir d’un intérêt collectif, de revendications professionnelles les concernant eux-mêmes.
Les modalités de la grève
– a) Le déclenchement Dans les entreprises privées, la loi n’impose aucun préavis. De plus, selon les juges, une convention collective ne peut limiter ou réglementer, pour les salariés, l’exercice du droit de grève. Seule la loi peut créer un délai de préavis, une procédure préalable de conciliation ou d’attente, qui s’impose aux salariés. Les clauses des conventions collectives qui ont pour objet de réglementer ou de limiter le droit de grève ne leur sont donc pas opposables. Mais pour que le mouvement collectif soit licite, il faut que l’employeur ait eu connaissance des revendications des salariés. Toutefois, ces derniers n’ont pas à attendre la décision du chef d’entreprise pour déclencher le mouvement, ce qui autorise les grèves « surprises ».
– b) Le déroulement Au cours d’un mouvement collectif licite, les grévistes peuvent organiser des piquets de grève ou procéder à l’occupation des lieux de travail. La participation à un piquet de grève n’est pas automatiquement fautive, dès lors que les salariés ne se sont pas rendus coupables d’entraves à la liberté du travail ou de voies de fait. De même, l’occupation des lieux de travail, lorsqu’elle se prolonge ou qu’elle constitue une entrave à la liberté du travail ou une voie de fait, peut être considéré comme une faute lourde.
Dans le public*
Le droit de grève est reconnu aux agents des trois fonctions publiques (dÉtat, territoriale et hospitalière). La loi du 19 octobre 1982 impose le dépôt d’un préavis au minimum cinq jours avant par « l’organisation ou une des organisations syndicales les plus représentatives », sans préciser les critères (voir ci-contre la CNT dans l’Éducation). Il doit notifier le lieu, la date et l’heure de début, la durée envisagée et les motifs (ex. : grève politique interdite, il faut définir des revendications profession-nelles). Pour une grève, même d’une heure, l’administration prélève un jour de salaire (1/30e du salaire mensuel par jour). L’arrêt « Omont » du Conseil d’État pénalise fortement la grève du fonctionnaire : s’il fait grève la veille d’un congé, ce congé est compté comme grève, donc non payé ( !).
Simon et Étienne Santé-Social - 75 *Extraits du Guide du militant, Fédération CNT-Éducation.
Compléments
– Arrêt de travail ne rime pas toujours avec grève. Les tribunaux sont de plus en plus souvent amenés à se prononcer sur les conditions d’exercice du droit de grève. Ils ont ainsi déclaré illicite : • la grève du zèle et la grève perlée, qui consistent à ralentir le travail, à l’exécuter dans des conditions volontairement défectueuses ou dans des conditions autres que celles prévues par le contrat de travail, mais sans interrompre véritablement le travail (Cass. soc., 5 janvier 1979 ; Cass. soc., 16 mars 1994) ; • l’autosatisfaction des revendications, qui consiste pour les salariés à modifier eux-mêmes leurs conditions de travail ou leurs horaires, sans présenter de revendications à leur employeur.
– Dans l’Éducation nationale, le droit de grève (comme ailleurs !) est une question de rapport de force. Si le mouvement a de l’ampleur, le préavis de cinq jours n’est pas systématiquement respecté. Dans ce secteur, la CNT-FTE (Fédération des travailleurs de l’éducation), ses syndicats départementaux, voire certaines sections d’établissements scolaires du secondaire, déposent des préavis sans contestation de la part de l’administration.
– Le droit de grève attaqué dans le secteur public. L’histoire ouvrière française est marquée par des grandes grèves générales qui constituent une opposition puissante à tout gouvernement. Depuis la grande grève ouvrière de Mai 68, cette action a été écrasée dans le secteur privé par les nouvelles organisations des entreprises ayant détruit en bonne partie les collectifs de travail, et c’est le secteur public qui est devenu le fer de lance de la grève générale. C’est pourquoi les gouvernements tentent maintenant d’y limiter ce droit, en opposant les travailleurs entre eux à grands coups de propagande sur le « service minimum ». Ainsi, on a vu naître dans les transports (SNCF, RATP) des règles de « prévention des conflits » qui rendent plus long et plus difficile l’exercice du droit de grève. Actuellement, un projet de loi soutenu par Nicolas Sarkozy a été déposé à l’Assemblée nationale. Il vise à imposer la consultation systématique et à bulletin secret de tous les personnels avant le déclenchement de toute grève, sans dire si le résultat du vote conditionnera la légalité du mouvement.