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Stratégie syndicale : partie 0, introduction

Une première version de la brochure

dimanche 11 août 2024, par secrétariat formation

C’est un premier jet de brochure de formation ayant pour objet la stratégie syndicale. C’en est là le premier bout de la première partie, qui est tout simplement l’introduction.

Syndicalisme et lutte des classes

Syndicat : regroupement de personnes ayant des intérêts matériels communs et contradictoires avec les intérêts matériels d’autres personnes. Dans notre cas, l’objectif est de défendre les intérêts matériels des travailleurs et travailleuses, hors patrons, qu’illes soient en emploi, en « auto-entreprenariat », en formation, au « chômage » ou en « retraite ». Nos adversaires s’organisent aussi en syndicats : patrons, flics, etc.

En simplifiant, on peut dire qu’il y a 2 classes sociales aux intérêts contraires : le « prolétariat », c’est-à-dire les travailleurs et travailleuses, qui ne vivent que du travail et/ou d’aides sociales ; la bourgeoisie, c’est-à-dire les capitalistes, qui détiennent les moyens de production et en tirent un revenu, mais doivent parfois aussi travaillés (on peut alors parler de petite bourgeoise). Chaque classe ne pouvant avoir plus qu’au détriment de l’autre, il y a lutte des classes. Ce n’est pas une lutte entre gentils et méchants, ou entre le Bien et le Mal, mais entre classes aux intérêts différents.

Les régimes de « démocratie représentative » prétendent avoir régler le problème avec les élections et l’État. Mais le processus électoral et l’exercice du pouvoir d’État se font dans une société dominée par la bourgeoisie qui peut donc mettre de sérieux batons dans les roues aux élu·e·s. Si elle craint que ses intérêts soient très sérieusement remis en cause ou que ça a déjà commencé, elle peut tout à fait faire tout ce qui est en son pouvoir contre le gouvernement et le « prolétariat », donc par exemple mettre l’économie à mal et organiser une campagne médiatique, mais elle peut aussi aller jusqu’à massacrer en masse et installer au sommet de l’État quelqu’un qui lui soit favorable. En exemples maximaux, on peut citer la Commune de Paris de 1871 et la révolution espagnole de 1936-1939, ainsi que le Chili sous Salvador Allende [1]. Afin de faire reculer la bourgeoisie, et à fortiori l’anéantir [2], une action indépendante de l’État est nécessaire.

Un contexte inquiétant et d’urgence

Les syndicats sont en recul et sur la défensive depuis 40 ans. Ils sont incapables de défendre nos grandes conquêtes sociales : retraites, assurance chômage, droit du travail… Ils sont à fortiori encore plus incapables d’arracher de nouveaux droits notables.

Le patronat est quant à lui très offensif. Il est enhardi de l’accumulation de ses victoires, ce qui lui donne une grande confiance en lui. De plus, il a à son service des gouvernements de plus en plus autoritaires et des médias dominants dont la servilité va croissante.

À ce déjà bien sinistre tableau, se rajoute la crise écologique grandissante. Emballement du changement climatique, effondrement de la biodiversité avec la 6e extinction de masse, usage immodéré et pollution de l’eau, etc. Les profits quoi qu’il en coûte…

Et ces problèmes en favorisent d’autres. La géopolitique mondiale se tend de plus en plus. Cela va parfois jusqu’à générer des guerres, agrandissant encore plus la misère et fournissant un tremplin au nationalisme.

Un besoin de feuille de route

Malheureusement aujourd’hui la perspective révolutionnaire n’a jamais parut aussi bouchée. L’échec des régimes dit « communistes » paraît rendre le capitalisme indépassable. On arrive même pas à faire respecter nos droits au quotidien dans des démocraties dites représentatives. Le mouvement ouvrier est en ruine. Des révoltes spontanées ont lieu, mais sans lendemain et perspective de transformation de la société, comme ça a par exemple été le cas en France avec le mouvements des gilets jaunes en 2018-2019.

Les travailleur·euse·s et leurs syndicats ne semblent aujourd’hui pas à la hauteur. Les travailleur·euse·s sont peu syndiqué·e·s, et souvent découragé·e·s et passif·ve·s. On ne sait pas trop quoi faire. Les mouvements d’émancipation manquent de boussole sur le long-terme. Ça navigue à vue, à l’aveugle. On est beaucoup la tête dans le guidon à réagir aux attaques de nos adversaires. On est en panne de stratégie.

Stratégie et tactique

stratégie tactique
long-terme court-terme
général particulier
+ rigide + souple
ex. redynamiser le syndicalisme / transformer la société ex. gagner tel ou tel conflit syndical

Stratégie : Vient du vocabulaire de la guerre. Stratégie = se donner un plan d’action général pour gagner face à un ennemi, et atteindre ses objectifs de long-terme. Être stratégique = anticiper / se projeter. Avoir une idée de où on va (objectifs), comment on y va, par quels moyens. Réfléchir aux conséquences des différentes options, pour faire les choix qui sur le long-terme nous renforcent, et éviter les choix qui sur le long-terme nous affaiblissent / nous bloquent / se retournent contre nous.

Distinction tactique / stratégie : une tactique vise à atteindre des objectifs à court-terme (gagner une « bataille », ex. un conflit syndical particulier). Une stratégie vise à atteindre des objectifs sur le moyen-terme et long-terme (gagner une « guerre », ex. arracher l’émancipation intégrale des travailleur·euse·s). La tactique se nourrit de la stratégie qu’on a choisie. Elle est l’application d’une stratégie générale à une situation particulière. Mais une tactique est plus souple : on peut facilement ajuster une tactique, voir en changer en cours de conflit. Une stratégie est plus rigide : on ne change pas comme ça de stratégie en cours de route, car on ne récolte le fruit d’une stratégie que sur le temps long.

Situer historiquement le syndicalisme d’action directe

Le syndicalisme d’action directe et la stratégie qui y est associée, est apparue à la fin du 19e en France, puis s’est rependue dans dans divers pays. Cette stratégie particulièrement populaire entre les années 1900 et 1930, a été à l’origine de mouvements sociaux historiques, parfois révolutionnaires, et a permis de grandes conquêtes ouvrières. Elle a ensuite été marginalisée du fait de l’influence néfaste des régimes dit « communistes » (Russie, Europe de l’Est…) sur les syndicats.

L’actualité du syndicalisme d’action directe

  • Les syndicats ne réfléchissent plus assez à leur stratégie. Pire : certaines pratiques syndicales actuellement dominantes participent à affaiblir les syndicats et leur efficacité.
  • Le syndicalisme d’action directe propose une stratégie alternative plus que jamais d’actualité, adaptée aux enjeux et problèmes de notre époque. Remettre au goût du jour cette stratégie syndicale pour redynamiser et revitaliser le syndicalisme (qui en a grand besoin) et éviter les écueils du syndicalisme aujourd’hui majoritaire.

Un « bonus » indispensable : la Charte d’Amiens

Le Congrès confédéral d’Amiens [1906] confirme l’article 2 constitutif de la CGT.

La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.

Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe, qui oppose sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière.

Le Congrès précise par les points suivants, cette affirmation théorique.

Dans l’œuvre revendicative quotidienne, le syndicat poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme : il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale.

Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation de salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.

Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors.

En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale.

Proposition de lectures tierces

Articles et brochures

  1. Comités Syndicalistes Révolutionnaires, « Ton seul pouvoir, c’est le syndicat ! », page web
  2. Émile Pouget, La Confédération Générale du Travail, 1910
  3. Comités Syndicalistes Révolutionnaires, Les courants syndicaux : leur histoire à travers leur organisation et leur stratégie, collection stratégie syndicale, 2010
  4. Comités Syndicalistes Révolutionnaires, Histoire du syndicalisme révolutionnaire (1914-1939), collection histoire du syndicalisme (n°10-11-12), épuisé

Compilations de textes

  1. Émile Pouget, L’action directe et autres écrits syndicalistes (1903-1910), éditions Agone, 2010
  2. Fernand Pelloutier, Aux anarchistes, nada éditions, 2023
  3. Déposséder les possédants – La grève générale aux « temps héroïques » du syndicalisme révolutionnaire (1895-1906), éditions Agone, 2008

Ouvrages « difficiles »

La difficulté dépend évidemment de chacun·e. Il s’agit de mettre en garde, afin d’inciter à lire d’abord des textes plus abordables.

  1. Jacques Julliard, Autonomie ouvrière – Études sur le syndicalisme d’action directe, Seuil, 1988
  2. Jacques Julliard, Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe : Seuil, 1971, complet ; Points, 1985, tronqué
  3. Willy Gianinazzi, Georges Sorel, philosophe de l’autonomie, Arbre bleu, 2022

Divers

Il y a aussi les éditions CNT-RP (Confédération Nationale du Travail - Région Parisienne, 33 rue des Vignoles, 75020 Paris). Toutefois, elles sont parfois plus anarchistes que syndicalistes et même des fois exclusivement anarchistes, ce qu’on peut trouver intéressant, mais l’anarchisme n’est pas le sujet du présent document, ni du cycle de formation dont il est le début.


[2Il est question d’anéantir la classe sociale, donc de l’exproprier et de supprimer ce qui lui permet d’exister. Cela ne suppose pas d’en tuer les membres, sans se leurrer sur le fait que la révolution ne sera malheureusement probablement pas un fleuve tranquille et que le niveau de violence sera déterminé par la minorité bourgeoise.