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Stratégie syndicale : partie 1, l’action directe dans les luttes quotidiennes

Une première version de la brochure

dimanche 11 août 2024, par secrétariat formation

C’est un premier jet de brochure de formation ayant pour objet la stratégie syndicale. C’en est là le second bout de la première partie, qui porte sur l’action directe dans les luttes quotidiennes.

Revendiquer

Revendication : Ce que qu’on exige, ce qu’on réclame à un pouvoir (un patron, l’État, une administration, un propriétaire, ses parents quand on est petit·e…).

Une revendication est soit :

  • défensive : on exige le respect et le maintien de nos droits. Exemple : revendiquer le paiement d’heures de travail non payées.
  • offensive : on exige une amélioration. Une amélioration importante qui modifie le fonctionnement du système social et économique (mais sans le remettre en cause) est une réforme. La réforme est une amélioration garantie par la loi. Exemple : revendiquer l’interdiction des expulsions locatives.

Négociation : discussion en vue de trouver un accord entre plusieurs parties aux intérêts divergents. Accord : arrangement en plusieurs partie pour régler un différend. Pourvoir de négociation : capacité de faire céder l’adversaire dans une négociation, et de convenir d’un accord qui nous est favorable. Le pouvoir de négociation est déterminé / proportionnel au rapport de force en présence. Un conflit peut aussi se terminer sans accord si l’un des deux partie bat en retraite. La capacité à faire battre en retraite un adversaire est elle aussi déterminée par le rapport de force.

Rapport de force : relation de force / pouvoir entre deux camps aux intérêts opposés. Pour visualiser un rapport de force, on peut le représenter comme une ligne avec à une extrémité son propre camp et à l’autre extrémité le camp de l’adversaire, avec entre les deux un curseur mobile qui évolue en fonction des capacités et actions des deux camps. Un rapport de force est déterminé par un ensemble de critères : le nombre, l’influence, la crédibilité, la légitimité, la capacité de nuire, le fait de nuire (répression, pression économique et sociale, qui peut entre autres être faite par pression médiatique), la trésorerie en réserve, l’information, le temps…

Élaborer et gagner des revendications constituent les luttes revendicatives. Il existe plusieurs stratégies pour mener ces luttes revendicatives : le syndicalisme de service et l’action directe [1].

Le rapport de force est à la base déséquilibré et favorable à ceux qui ont du pouvoir sur nous (patron, gouvernement…). Mais un rapport de force n’est pas statique : on peut peser pour le faire évoluer à notre avantage.

Construire un rapport de force signifie travailler à l’infléchir en notre faveur (faire bouger le curseur) pour contraindre l’adversaire à accepter un accord qu’il refusait ou aurait refusé au préalable. On construit un rapport de force en faisant démonstration de sa force, en élargissant ses soutiens, en portant des coups à l’adversaire.

Le syndicalisme de service

Aujourd’hui, le syndicalisme de représentation et de service domine.

Syndicalisme de représentation et de service : Les travailleur·euse·s délèguent à quelques représentant·e·s et permanent·e·s syndicaux la défense de leurs intérêts. Illes consomment le syndicalisme comme des client·e·s d’un service. Les représentant·e·s et permanent·e·s syndicaux passent beaucoup de temps à discuter et « négocier » avec les patrons ou le gouvernement, mais souvent sans succès. Car pour mettre la pression, ils ne peuvent que trop rarement compter sur la mobilisation et l’implication active des travailleur·euse·s (et même de leurs) adhérent·e·s.

Cette pratique peut poser plusieurs problèmes :

  1. Elle n’est pas très efficace : elle vend l’illusion aux travailleur·euse·s que quelques représentant·e·s vont les défendre à leur place, donc elle entretient leur passivité et démobilisation.
  2. Elle n’est pas très collective : elle favorise donc moins la construction de solidarité.

Ce qui manque notamment à ce syndicalisme, c’est qu’il n’y a pas la construction d’un rapport de force.

L’action directe

L’action directe en elle-même

Le syndicalisme d’action directe considère que déléguer la défense de nos intérêts à quelques représentant·e·s est une impasse. Pour se défendre efficacement, les travailleur·euse·s doivent elleux-mêmes se mobiliser, collectivement et directement, pour peser sur les rapports de force et arracher leurs revendications.

Action directe : Action autonome des travailleur·euse·s. Agir directement nous-même pour peser dans le rapport de force et changer une situation. Ne pas compter sur des forces extérieures à notre classe sociale (intermédiaire, représentant, tribunal ou politicien…).

Dans un conflit syndical, il existe plusieurs moyens par lesquels les travailleur·euse·s peuvent peser dans un rapport de force :

  • Grève : arrêter collectivement le travail pour désorganiser l’entreprise ou l’administration et ainsi faire perdre de l’argent au patron ou désorganiser le reste de la société.
  • Boycott : appeler les autres travailleur·euse·s à ne plus consommer dans une entreprise, par solidarité avec celleux en lutte.
  • Label : invitation à se fournir chez les entreprises qui ont la marque syndicale et donc respectent les conditions syndicales.
  • Sabotage : saboter la production d’une entreprise ou administration (ralentir les cadences ou travailler moins bien ou endommager la production ou les outils de travail).
  • Piquet syndical : organiser un rassemblement devant un lieu de conflit :
    • Piquet de grève : rassemblement de grévistes (et éventuellement de sympathisant·e·s) pour visibiliser la grève, renforcer les liens entre grévistes et convaincre les non-grévistes de rejoindre la grève.
    • Piquet d’information ou de boycott : piquet de non-grévistes qui informent les client·e·s / salarié·e·s / usager·e·s, du conflit en cours, voire qui les appellent au boycott.
  • Manifestation, rassemblement ou « performance publique » symbolique. Mode d’action directe le plus connu. Consiste à se rassembler et/ou marcher dans l’espace public et/ou faire une action théâtrale pour visibiliser une lutte, une cause. Cela permet de faire une démonstration du soutien pour une lutte, d’une capacité de mobilisation. (Peut parfois donner lieu à des dégradations ou affrontements qui restent, dans la plupart des cas, surtout symboliques.)
  • Occupation / blocage : occuper ou bloquer un lieu de production ou de transit (entreprise, administration, un rond point). L’occupation permet de visibiliser une lutte, s’approprier un lieu pour s’organiser. Dans le cas des entreprises occupées, cela permet aussi de surveiller que le patron n’évacue pas les outils de production en douce ou n’embauche pas illégalement des jaunes (= casseur·euse·s de grève).

Tous ces moyens sont des modes de pression directs et efficaces que peuvent utiliser les travailleur·euse·s, car il s’agit de moyens de pression économique et social (c’est-à-dire que concrètement, cela fait perdre de l’argent aux patrons en ralentissant ou en stoppant la production, les ventes, les flux).

Les avantages du syndicalisme d’action directe sur le syndicalisme de service

  • Plus collectif et inclusif,
  • Nous éduque à la solidarité et cimente la conscience de classe,
  • Rend acteur·rice et actif·ve,
  • Nous apprend à nous organiser et à lutter par nous-même, diffuse les savoir-faire militants,
  • Plus visible / plus facile de médiatiser / rayonne plus,
  • Permet de réapprendre aux patrons de prendre les syndicats au sérieux, augmentant la capacité de négociation.

Au final, c’est plus efficace, car négocier sans avoir construit le rapport de force est perdu d’avance.

Exemples concrets du syndicalisme d’action directe

Exemples de piquets

Des piquets de la CNT 31

Voila 2 piquets de la CNT(-Vignoles) à Toulouse, respectivement de 2020 et 2022 :

Le premier est un piquet d’information contre Tapas Locas. Il a suffi à règler l’affaire après des mois de tractation infructueuse avec le patron.

Le second est l’un des piquets de boycott contre le patron de Patatisse-Patalevain qui a égo très prononcé. Cela a fini par contraindre le syndicat à en passer par l’action juridique, ce malgré l’effet incontestable sur sa clientèle qu’on eut les piquets et le boitage dans le quartier, mais aussi sa défense publique qui a souvent été ridicule et en a convaincu certains que le patron n’était pas sérieux.

Un piquet CNT en Espagne

En bref, c’était en juin 2022 contre Arts in Sans Horeca (Granollers, Catalogne ; secteur de la viande, agroalimentaire).

En juin 2022, l’entreprise ferme ses quatre boutiques tout en maintenant la production de son usine, et en continuant des ventes à des entreprises tierces notamment dans la restauration. 12 ouvrières cessent de percevoir leurs salaires. N’étant pas licencié∙e∙s, elles ne peuvent pas non plus ouvrir leur droit au chômage.

Elles montent une section syndicale CNT et lancent une intense mobilisation alternant campement devant l’usine et piquets mobiles de boycott des entreprises clientes de leur patron. Sur la photographie, on voit un de ces piquets mobiles devant un restaurant client de leur patron. Sur les banderoles, on peut lire « cette entreprise collabore avec l’impayé de 12 familles » et « si vous rentrez ici vous aider un escroc ».

En quelques jours, quatre restaurants ont annoncé publiquement qu’ils arrêtaient de se fournir à Art i Sans tant que les salaires n’étaient pas régularisés. Après deux semaines de lutte, elles obtiennent le paiement de leurs trois mois de salaires dûs. L’exemple de cette campagne de boycott est intéressante, car elle montre qu’on peut porter des coups par le boycott à des entreprises qui n’ont pas de commerce ouvert aux particuliers. Il suffit d’organiser le boycott des entreprises clientes de l’adversaire qui vendent des biens ou services à des particuliers.

Un exemple de label

Pour aller plus loin sur ce thème, on peut lire Guillaume Goutte, « Le label syndical a-t-il un avenir ? », site web des CSR, septembre 2019.

Exemples de grèves

Une grève en Espagne

Il est là être question d’une grève de 2020 à Productos Florida. C’est dans l’agroalimentaire et plus précisément dans le secteur de la viande, et ça se passait à Castéllon (communauté Valencienne, en Espagne).

Des centaines de travailleur·euse·s y travaillaient par le biais de Servicarne. C’était une fausse coopérative vitrine de faux-auto-entrepreneur·euse·s créée par des industriels de la viande pour contourner le droit du travail et le paiement des cotisations sociales.

Le conflit est lancé par la CNT en 2016 pour : réclamer l’embauche par Productos Florida avec reconnaissance de leur ancienneté des faux-auto-entrepreneur·euse·s de Servicarne, la dissolution de Servicarne, et le paiement par les patrons de toutes les cotisations sociales impayées. Suite à un contrôle de l’Inspection du travail, les mises à disposition de travailleur·euse·s de Servicarne aux entreprises du secteur ont été déclarées en 2017 comme mise à disposition illégale (cf. salariat déguisé).

En 2019, la section syndicale a lancé une grève de 72h qui a permis l’ouverture de négociation. Mais en 2020, face à une direction inflexible et une réduction du temps de travail et les salaires des camarades faux-entrepreneur·euse·s, a commencé une grève illimitée suivie à plus de 90%. En parallèle des piquets et rassemblements, plusieurs ouvriers et ouvrières ont fait une grève de la faim et camper de manière permanente devant l’usine.

Après 90 jours de grèves (février-mai 2020), tenus notamment grâce aux caisses de résistance (nourries par la solidarité nationale et internationale), les camarades ont suspendu leur grève lors de l’aggravation de la crise covid. Lorsqu’illes ont voulu reprendre leurs postes, illes ont constaté la désactivation de leur autorisation d’entrer et la sécurité les ont bloqué à l’extérieur. Le fait qu’illes n’ont jamais été officiellement des salarié∙e∙s, a permis au patron de les virer sans procédure de licenciement. Une bataille juridique contre Productos Florida, appuyée par des rassemblements, a alors commencé. Le procès en première instance s’est ouvert en novembre 2022, et a débouché en janvier 2023 par une reconnaissance du salariat déguisé perpétré par Productos Florida. L’entreprise a été condamné à verser 7,4 millions de cotisation sociale. Cela va permettre au travailleurs∙euses de demander le remboursement des cotisations d’auto-entrepreneur qu’illes ont payé lorsqu’illes travaillaient à Productos Florida (280 euros par mois).

Une grève en France

C’est là une grève à Laser (Agence Régionale de Santé) et ça concernait des camarades du nettoyage. Elle a eu lieu à Marseille en 2022.

C’était un conflit entre les sept salarié·e·s en charge du nettoyage de l’ARS de Marseille et leur alors nouvel employeur, Laser, qui a repris le « chantier » en janvier 2022 et a cherché à imposer une augmentation significative de la charge de travail via la mutation de deux agents, alors que le travail n’a pas changé. Appuyé par leur syndicat CNT-SO et l’intersyndicale de l’ARS, les camarades ont fait trois mois de grève reconductible (23 mars – 5 juillet) avec piquet de grève quotidien, évènement de soutien et campagne de récolte de don pour la caisse de grève. Victoire totale : évincement du sous-traitant du marché, maintien des effectifs d’origine sur le site avec le retour des personnels mutés et la réintégration d’un camarade gréviste licencié, paiement des heures supplémentaires.

À noter : travail intersyndicale CNT-Vignoles (implanté à l’ARS) / CNT-SO [2] (implanté à Laser).

Exemples d’occupations

Exemple d’occupation à Rennes

Il est là question d’une occupation d’un local syndical CNT. C’était Université Rennes II en 2014.

En 2012, la section syndicale CNT à Rennes II apprend que la direction veut raser les préfabriqués, qui hébergent notamment son local syndical depuis 15 ans. Elle compte faire ça afin de permettre la construction d’un nouveau bâtiment dans le cadre d’un partenariat public-privé avec de grandes multinationales.

Le CA (Conseil d’Administration) décide en mai 2013 de ne pas reloger la CNT. Puis, début décembre 2013, le syndicat reçoit un avis d’expulsion. Début janvier 2014, quelques jours avant l’épuisement du délais d’expulsion, la section syndicale débute l’occupation illimitée de son local 24h/24h et 7 jours sur 7. Il devient le LAD (Local À Défendre). L’occupation dure 4 mois et est ponctuée par des activités socio-culturelles et des actions coups de poing ou festives (manifestations sur le campus, perturbation théâtrale et humoristique des journées porte ouverte, occupation-concert surprise de Billy Ze Kick, perturbation du pot de départ du directeur général des services à coup de pétards, slogans et fumigènes jetés sur les convives, blocage ou tentative de blocage de CA, signature de pétition, distribution de milliers de tracts, atelier de breton, atelier de réparation vélo, etc.).

La pression contre le syndicat est elle aussi constante : coupure d’électricité, utilisation massive d’entreprises privées de vigiles pour réprimer le syndicat, interdiction d’accès aux bâtiments universitaires lors de certains événements publics concernant des étudiant∙e∙s syndicalistes, surveillance de plusieurs jours par des agents de la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure), arrachage quasi quotidien des panneaux syndicaux par les agents de sécurité de l’Université, convocation de syndicalistes de d’autres syndicats du campus par la police pour enquêter sur la CNT et « trouver des noms », menace de passage à tabac par les vigiles, etc. En avril, la « justice » condamne le syndicat à 100 euros d’amende par jour d’occupation supplémentaire. Le syndicat exsangue financièrement est contraint de lever l’occupation. La lutte qui malgré les efforts du syndicat CNT, n’a pas soulevé une grande solidarité sur le campus, se conclue par une défaite et la perte de son local syndical.

Par ailleurs, il y a eu la lutte contre la fusion Rennes I et Rennes II. Elle s’est faite de front en intersyndicale (dont la CNT est expulsée dès mars, suite au concert-occupation surprise avec Billy Ze Kick) et est victorieuse.

Exemple d’occupation à Paris

Voila une occupation du siège de People & Baby (petite enfance). C’était à Paris en 2010.

Alors que la Ville de Paris livre à la sous-traitance cinq établissements d’accueil du Jeune enfant à la société People & Baby dans le cadre de la libéralisation des marchés publics, cinq salariées montent une section syndicale dans leur crèche. Suite à une première journée de grève dans la crèche, la direction licencie 4 d’entre elles (People & Baby n’arrive pas à licencier la camarade représentante syndicale, l’inspection puis le ministère du travail refusant son licenciement).

Suite à cette répression syndicale, une occupation de plusieurs jours est organisée par l’UR RP de la CNT au siège de l’entreprise. Une occupation de solidarité de quelques heures a également lieu dans des bâtiments People & Baby à Lyon. Rapidement les camarades abandonnent l’action directe et le conflit prend la voie judiciaire. Preuves à l’appui grâce aux échanges de courriels trouvés par l’inspection du travail qui dressait un procès verbal constatant la discrimination, les syndicalistes gagnent aux prud’hommes en novembre 2017 et obtiennent 145 000 euros d’indemnités pour licenciements abusifs et discrimination anti-syndicale. Mais le 1er juillet 2021, l’entreprise obtient gain de cause en appel : la Cour annule la décision des prud’hommes et condamne les quatre camarades au remboursement des indemnités obtenues en première instance.

Vidéo (chez Google) : CNT Petite Enfance En Lutte, « People & Baby exploite et licencie (lutte CNT 2010) », YouTube, 19 février 2023. yt-dlp est votre ami.

Exemple de blocage

En 2014 à Toulouse, a eu lieu un blocage de l’Université du Mirail.

Exemples de manifestations

Exemple de manifestation de routine

Il y évidemment la traditionnelle manifestation du 1er mai [3].

Exemple de manifestation de lutte

C’est une manifestation contre la répression syndicale. Elle a eu lieu à Madrid en 2022.

Exemples de sabotage

Dans le cadre d’une grève au Consorcio Galego de Igualdade e bienestar de la Junta de Galiza, il y a eu du colmatage de serrure. C’était en Galice (Espagne), en 2022, dans le Santé-Social.

Le Consorcio Galego de Igualdade e bienesta du gouvernement de Galice est une structure publique dépendant du gouvernement régional. Il gère 200 établissements : crèche, centres de jour pour personnes dépendantes et/ou âgées, appartements d’accueil pour femmes survivantes de violence sexiste conjugale, etc. Sur les 1 700 salarié∙e∙s de l’entreprise, on trouve 90% de femmes et 95% de CDD (Contrat à Durée Déterminée). La plupart de ces CDD étaient illégaux, car ils étaient reconduits depuis 13 ans pour certaines ouvrières. Les salarié∙e∙s auraient dû être embauchées en CDI (Contrat à Durée Déterminée).

En 2017, l’entreprise et les syndicats siégant au Comité d’entreprise (UGT et CCOO) s’accordent sur une « Offre Publique d’Emploi » (OPE) de 1 500 emplois. La manœuvre vise à se débarrasser des salarié∙e∙s en postes ayant été maintenu illégalement en CDD par l’entreprise en les remplaçant. Suite à une importante campagne syndicale CNT, une cinquantaine de salarié∙e∙s se syndiquent et créent une section syndicale dans l’entreprise. Se lance alors un long conflit syndical pour la titularisation des salarié∙e∙s.

La première journée de grève est appelée le 18 février 2021 par la section syndicale CNT (et dans l’indifférence des autres syndicats). Elle est suivie par 43% des travailleurs∙euses selon l’employeur, 80% selon la CNT. Après plusieurs grèves et une négociation avortée, le syndicat organise, de septembre à décembre 2022, 10 jours de grève reconductible chaque mois. Le gouvernement de Galice qui avait déjà utilisé l’arme du service minimum contre les grévistes dès la deuxième grève de 2021, établi cette fois-ci un service minimum de 90% des effectifs. Pour résister aux services minimums, des sabotages sont opérés anonymement par le colmatage de serrure de plusieurs établissements du Consorcio.

Un pied dans un sabot écrasant un serpent symbolisant l'exploitation hurlant de douleur
IWW (É.-U., début du 20e siècle)

Le temps : une ressource rare

Une approche poussée du syndicalisme d’action directe peut logiquement conduire au refus des permanent·e·s, c’est-à-dire au refus d’avoir des militant·e·s payé·e·s pour faire du travail syndical. En effet, cela pousse à la passivité des autres, cela crée du détachement vis-à-vis du vécu de la base, cela engendre de la spécialisation qui ne tourne pas ou peu et donc une concentration de pouvoir, etc. Et par ailleurs, quand le financement vient d’une structure syndicale, c’est coûteux financièrement.

Cela a par exemple mené « la CNT », ou plus précisément la CNT-Vignoles [4] de par l’adresse de son local parisien et qui détient le nom de domaine Internet cnt-f.org, a refusé les permanent·e·s. À contrario la CNT-SO, qui est une scission, et plus largement à peu près toutes les confédérations syndicales [5], ont recourt à des permanent·e·s.

Force est de constater que le refus des permanent·e·s demande que les adhérant·e·s allouent leur propre temps pour faire vivre le syndicat dans son intégralité. Et il faut admettre que parfois cette auto-restriction est contournée par des permanent·e·s de fait, mais pas payé·e·s au nom de leur travail syndical, car « chômeur·euse·s » ou « retraité·e·s », le formalisme est alors respecté mais pas l’esprit.

Entre les 2 modèles purs, d’un côté accepter que les structures syndicales aient des salarié·e·s et de l’autre refuser toute rémunération pour travail syndical, il existe une solution médiane. En effet, avec le développement des droits syndicaux, le patronat peut maintenant, dans certaines conditions, accorder des heures pour le travail syndical. Elles sont payées par le patron et elles sont prises sur les heures « normales » de travail. Cela permet d’avoir des syndicalistes partiellement permanent·e·s. Et pour réduire les risques liés aux permanent·e·s, on peut ne leur confier à faire via ces heures que des tâches d’administration chiante (comme la trésorerie [6]) et il peut être imposé qu’elles tournent à intervalle fixe (par exemple chaqune année, ou tous les 2 ou 3 ans).

Et l’action en entreprise ?

Il y a 2 grandes manières d’agir en entreprise :

  • les instances de représentation du personnel (IRP)
    • exemple : le CSE (Comité Social Économique)
    • Inconvénients :
      • Délégation
      • Passivité collective
      • Élu·e·s parfois incontrôlables
      • Consommation d’un service
      • Intégration à l’entreprise et au capitalisme
    • utile pour le statut de salarié·e protégé·e et certains droits
  • la section syndicale
    • prolongement du syndicat dans l’établissement ou l’entreprise
    • Avantages :
      • Implication de tou·te·s
      • Force collective
      • Transparence et démocratie
      • Entraide mutuelle
      • Autonomie

Et l’action juridique ?

Quand il y a conflit, soit :

  • les deux parties en présence trouvent elles-mêmes un accord pour mettre fin au conflit,
  • l’une des deux parties bat en retraite,
  • au moins une des parties s’estime lésée dans ses droits légaux et saisie un tribunal. Elle commence alors une action juridique.

En cas d’action juridique, on délègue au tribunal le soin de trancher le conflit à notre place, par un jugement. La décision du tribunal s’impose avec force, car il a derrière lui, si nécessaire, les moyens de coercition extrêmement efficaces de l’État : police et prison.

Avantages de l’action juridique

  • Si la décision du tribunal nous est favorable, l’adversaire pourra très difficilement s’y soustraire (cela joue aussi contre nous si le jugement nous est défavorable…). Si le syndicat n’a pas été lui-même assez fort pour imposer un accord favorable, les tribunaux sont donc une deuxième chance.
  • Dans nos imaginaires collectifs, il s’agit d’une bonne manière d’obtenir une reconnaissance des tords qu’on a subit. Cela est important parfois pour se sentir mieux, se reconstruire. Notons qu’il est aussi possible d’obtenir une reconnaissance directe sans médiation judiciaire :
    • par la compassion de ses pairs, les travailleur·euse·s qu’on aura informé le plus largement possible de l’injustice vécue,
    • auprès de l’adversaire en le poussant à céder à nos revendications.
  • Ça permet d’allouer le maximum de temps à la lutte offensive. En effet, l’action juridique n’est possible que dans la lutte défensive, car elle s’appuie sur le droit déjà là. En réalité, il est des fois, mais fort rarement, possible de faire de la lutte offensive via le juridique, quand il y a conflit entre des normes juridiques et que celle appliquée est à notre désavantage.

Désavantages de l’action juridique

  • Limité : n’est possible qu’en cas d’entorse à la loi, et même dans ce cas il faut avoir suffisamment de preuve recevable par le tribunal, ce qui n’est pas toujours le cas.
  • Très technique et chiant : amène souvent à déléguer à des spécialistes (avocat, juriste, conseiller prud’homaux, militant avec beaucoup de temps et/ou d’expérience). On devient plus facilement passif·ve et spectateur·rice.
  • On n’apprend pas à compter sur notre propre force / on perd en autonomie.
  • Souvent moins collectif et inclusif.
  • Les luttes qui s’enferment dans les tribunaux sont souvent moins visibles, « moins médiatiques ».
  • Peut être très long (jusqu’à 2 ans) : va refroidir certain·e·s travailleur·euse·s.
  • Dépendance vis-à-vis d’une institution qu’on ne contrôle pas et dans laquelle ne siège pas nos allié·e·s (juges, patrons dans les prud’hommes…). Si l’issue est défavorable, ça peut se retourner contre nous. Loin d’être fiable à 100%.

Place stratégique de l’action juridique

Il faut considérer les éléments suivants :

  • Privilégier systématiquement l’action directe par rapport à l’action juridique du fait de ses avantages. Mais ne pas se priver d’agiter la menace de recours judiciaire pour construire le rapport de force.
  • Les tribunaux sont une solution de secours dans le cas où l’action directe n’est pas possible ou s’est révélée insuffisante. Il ne faut pas de fétichisme anti-tribunaux : si on n’a pas le choix, on y va sans scrupule. Cela peut aussi être un complément secondaire pour appuyer une lutte engagée sur le terrain de l’action directe [7].

Synthèses

Proposition de lectures

  1. Émile Pouget, l’Action Directe, 1904
  2. « La Tactique », dans Émile Pouget, La Confédération Générale du Travail, 1910
  3. Émile Pouget, le Sabotage, 1911
  4. Voltairine de Cleyre, De l’Action Directe, 1912
  5. Émile Pouget, L’action directe et autres écrits syndicalistes (1903-1910), éditions Agone, 2010
  6. Dominique Pinsolle, Quand les travailleurs sabotaient (1897-1918), éditions Agone, 2024

Annexe : quelques sigles syndicaux

  • CNT = Confédération Nationale du Travail
  • CGT = Confédération Générale du Travail
  • FSU = Fédération Syndicale Unitaire
  • (CGT-)FO = Force Ouvrière
  • CFDT = Confédération Française Démocratique du Travail
  • CFTC = Confédération Française des Travailleurs Chrétiens
  • CFE-CGC = Confédération Française de l’Encadrement - Confédération Générale des Cadres
  • UNSA = Union Nationale des Syndicats Autonomes
  • UNEF = Union Nationale des Étudiant·e·s de France
  • IWW = Industrial Workers of the World
  • VL = la Voix Lycéenne
  • FAGE = Fédération des Associations Générales Étudiantes
  • FIDL = Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne
  • MNL = Mouvement National Lycéen

[1Attention : Ce sont là 2 modèles purs. Mais la réalité est rarement toute noire ou toute blanche. Par exemple, même la CFDT fait de l’action directe, mais bien moins que la CGT et la CNT.

[2La CNT-SO (Solidarité Ouvrière) est une scission de la CNT-Vignoles, qui détient le nom de domaine Internet cnt-f.org. La différence la plus notable en terme stratégique est qu’elle a des salarié·e·s, tandis que la CNT-Vignoles et les CNT-AIT (une autre scission, qui a ensuite rescionné) refusent d’en avoir.

[3Sur l’origine historique du 1er mai, la journée internationale des travailleur·euse·s, on peut lire : CNT SIPM & TP RP, Chicago, mai 1886 – Huit martyrs pour la conquête des huit heures, 2011.

[4À son Congrès de décembre 2023, la CNT-Vignoles a demandé son adhésion à la CIT (Confédération Internationale du Travail) ou ICL (International Confederation of Labor). Il est donc possible qu’à l’avenir il soit plus communément question d’elle comme CNT-CIT.

[5En France, il y aussi la CNT-AIT, ou plutôt les CNT-AIT, qui s’opposent aux permanent·e·s. Elles vont même plus loin en s’opposant à la participation aux élections professionnelles dans toutes les branches (tandis que la CNT-Vignoles ne se l’autorise pas uniquement dans l’Éducation Nationale). Cela a été un motif de scission avec la CNT-Vignoles, qui aux demeurant·e·s se revendique moins fortement de l’anarchisme et cela se retrouve dans son positionnement proclamé qui est AS&SR (anarcho-syndicalisme et syndicalisme révolutionnaire).

[6Évidemment chacun·e peut avoir une appréciation différente. Mais il semble assez commun que l’administratif ne passionne pas, trésorerie comprise. Mais tant mieux si ce n’est pas votre cas.

[7Le simple fait de lancer une procédure prud’hommale en référé, peut remette un coup de pression psychologique supplémentaire à un adversaire sur le point de négocier du fait des actions du syndicat.