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CGT-e info n° 8

samedi 15 juillet 2006

CGT-e info n° 8
http://www.fondation-besnard.org/ar...
(Fin de rédaction 14 juillet 2006)

Données générales, voir le n° 2

 Luttes en cours
 Analyse sociale
 Récupération de la mémoire

1) Luttes en cours

La grève à Mercadona de la CNT-AIT a dépassé les CENT jours (voir les n° précédents), les actions de solidarité se multiplient sur le territoire espagnol et à l’étranger devant des représentations diplomatiques espagnoles, mais rien de concret n’apparaît à l’horizon.

Le site de la CGT indique qu’une autre sentence de nullité de licenciement démontre la manipulation scandaleuse des accords de réduction de personnel signé par les patrons de SEAT et l’UGT et les Commissions ouvrières. Cette fois, elle émane d’une juge de Barcelone qui réclame la réadmission immédiate de trois travailleurs. Une manifestation contre ces licenciements est prévue à Barcelone le 13 juillet.

L’entreprise ONO (CGT 23.06.06) empêche les élections syndicales demandées par la CGT. La direction a prévu de licencier 785 employés, après accord avec les syndicats UGT, Commissions et STC, dont les modalités sont inconnues à ce jour.

On en déduit que le moment n’est pas bon pour l’ensemble patronal de procéder à des élections où la CGT a tout à gagner. Jusqu’à quand ces charognards vont léser les travailleurs ?

« Une campagne “ Brisons le silence ” de plus de 40 collectifs, à laquelle s’associe la CGT a lancé une série d’actions entre le 26 juin et le 2 juillet 2006 à Madrid. Les médias imposent le silence face un des réalités sanglantes : le problème du logement, immigration, le racisme, le machisme ou la précarité.

Nous voulons briser le silence. Une fois plus. Et nous continuerons jusqu’à ce que nos voix soient entendues. Dans tout Madrid des voix qui ne veulent pas être étouffées par l’aliénation du système capitaliste vorace. Des voix pour démasquer la misère et la justice. Des voix pour échapper au contrôle social imposé. [...] Des voix pour rappeler la militarisation croissante des sociétés. Des voix pour déchirer la routine du travail, du logement inaccessible et des achats insipides aux supermarchés. Des voix contre le patriarcat qui s’appuie le “ vieux ” paradigme libéral. Des voix pour briser la pacotille du rêve et la publicité derrière le quel se cache la misère des opprimés et d’une planète qui ne tolère plus davantage de dévastation. Des voix qui dénoncent un système de rapports internationaux injuste, antidémocratique, entraînant l’endettement des peuples, les soumettant à l’économie de marché. Des voix qui crient que dans cette ville vitrine il y ait des poches de marginalité, où la pauvreté est punie par la prison et les maisons de correction. Des voix pour casser les murs érigés comme séparation entre l’opulence et la spoliation. Des voix rauques qui déchirent la pollution. Des voix qui parlent d’une culture libre, populaire de tous et pour tous, en dehors d’un système qui achète tout et qui vend tout. Des voix pour récupérer la mémoire historique de ceux qui ont été réprimés parce qu’ils luttaient contre l’exploitation. Des voix que nous voulons maîtriser pour nous organiser et imaginer de nouveaux mondes qui en contiennent beaucoup.

Nous ne sommes pas ici pour mendier des maisons. Nous ne sommes pas ici pour demander une petite subvention permettant d’aliments le rythme de la construction et de la spéculation accélérée. Nous ne voulons pas de timides impôts pour ceux d’en haut ou ceux d’en bas. Nous ne voulons pas que le marché inhumain de l’habitat s’autorégule ou se modère partiellement. Nous ne voulons pas qu’un appartement valant 300 000 € passe à 290 000. Cela ne nous suffit pas. Tout voulons que le logement cesse d’être du fric. Tout simplement.

Nous voulons que le logement soit un droit sur lequel personne ne puisse faire de bénéfice. Car on ne joue pas et on ne triche pas avec les besoins élémentaires des êtres humains. Nous voulons que le logement le soit vraiment, et pas des images que l’on achète et que l’on vend pour faire des bénéfices. [...]

Brisons le silence 2006, action sur les immigrants au terminal T4 de Barajas (01.07.06). Une action y a été menée pour dénoncer les déportations d’immigrants sans-papiers qui s’y trouvent. L’action avait pour but de rendre visible une problématique n’a pas sa place dans les médias conventionnels. Une banderole a été déployée. The state of Spain don’t respect Human Rights. Aucun n’être humain n’est illégal.". Un texte a également été distribué aux voyageurs et dans les bureau d’information et d’Iberia, pour que les travailleurs de l’aéroport soient conscients de ce qui s’y passe. Pour des raisons logistiques, une dizaine de personnes seulement a participé à cette action, afin d’assurer le départ de l’aéroport et éviter l’intervention de la police. Il n’y a pas eu de problème ni s’interpellation parce que l’action a été rapide : entre six ou sept minutes. Les personnes présentes ont été surprises, de même que les agents de sécurité de l’aéroport.

Action directe contre les exploiteurs de Cepsa-Ecansa dans le stade de football du Tenerife (A-infos 19.06.06)

Le samedi 17, profitant du dernier match de division I du C.D. Tenerife, équipe de football sponsorisée par Cepsa, et qui nous avait offerts quatre entrées, nous, un groupe de cénétistes, avons réalisé une action dans le stade pour populariser le conflit en cours à Cepsa-Ecansa ((Ecología Canarias S.A.). Nous avons distribué quelques 3.500 tracts aux abords du stade, avant le match montrant les pratiques fascistes de l’entreprise de contre les travailleurs qui luttent pour leur droit.

Dès le début du match et en deuxième mi-temps nous avons déployé une pancarte "CEPSA-ECANSA, STOP REPRESSION. READMISSION DES LICENCIES. CNT" dans un endroit assez visible des gradins. [...] A Ecansa (Ecología Canarias, S.A.), une des entreprises filiales de la raffinerie de Santa Cruz, on utilise toute une série de formes de harcèlement contre los travailleurs qui ont décidé de monter une section syndicale de la CNT pour lutter pour leurs droits. En effet leur expérience précédente dans le syndicat de l’Entreprise intersyndicale Canaria, et surtout son délégué syndical, a été désastreuse. La section syndicale CNT à Cepsa-Ecansa est composée de travailleurs du nettoyage, de la manipulation et du transporte de résidus contaminants et contaminés issus des travaux de raffinage d’hydrocarbures. Ils touchent 600 euros par mois et leur revendication la plus importante est de profiter du complément pour produits toxiques dangereux, une prime de salaire à laquelle on a droit pour un travail avec des substances toxiques. Cette prime serait de 120 euros, petite compensation pour les lésions de santé qu’entraîne le fait de travailler quotidiennement avec des substances toxiques. [...]

Cepsa-Ecansa veut des travailleurs dociles, qui, même si on les paie une misère, en leur volant par-dessus le marché 120 euros par mois (dans le même temps l’usine de pétrochimie Cepsa verse des milliers d’euros pour sponsoriser une équipe de football) ne protestent pas du tout. Mais cette dictature patronale va finir et la CNT restera jusqu’au bout. « Réadmission des travailleurs licenciés !!, Intersyndical Canaria, complices ! Boycott de Cepsa !! CNT de Tenerife"

Contre le nouveau centre d’internement d’étrangers de la zone franche de Barcelone (CGT 27.06.06)

59 personnes manifestant contre le nouveau centre d’internement (CEI) d’immigrants ont été arrêtées. Cette action rentre dans le contexte de la Caravane européenne pour la Liberté de mouvement, qui a organisé il y quelques mois la Caravane à Ceuta [enclave impérialiste espagnole, avec Melilla, au Maroc, identique à Gibraltar en Espagne, pour le Royaume Uni], après la mort sur la ligne de grillage de plusieurs immigrants.

“Communiqué de soutien aux détenus contre le CEI à Barcelone

Nous, les collectifs et organisations signatrices nous manifestons notre solidarité aux 59 détenus à Barcelone durant une action pacifique contre le nouveau centre d’internement d’étrangers de la zone franche de Barcelone. Cette action se place dans les mobilisations de la II Caravane européenne pour la Liberté de mouvement (la I Caravane européenne a eu lieu à Ceuta pour dénoncer la mort de plusieurs migrants au passage de la clôture frontière avec le Maroc) en septembre et octobre 2005. [...]

Le nouveau centre d’internement, qui sera le plus grand d’Espagne, remplacera l’actuel (La Verneda) et augmentera sa capacité en nombre de place. Le CIE de la Verneda a été dénoncé à plusieurs reprises aussi bien par des institutions internationales de défense de droits de l’homme que des mouvements sociaux les plus divers, ce qui a entraîné l’ouverture du nouveau centre d’internement, présenté par l’administration comme une “amélioration" des conditions d’internement des migrants. [...]

Nous considérons l’attitude de la police démesurée et violente lors d’une manifestation totalement pacifique et légitime pour la défense de tous les droits pour les personnes migrants. » La CGT manifeste sa solidarité avec les 59 détenus à Barcelone. De même la CGT continue son travail de solidarité internationale envers les pays d’Europe (par exemple, Pologne, Russie), d’Amérique Latine et d’Afrique (Sahara occidental et l’ex Guinée espagnole).

Rapatriements secrets d’immigrants depuis l’Espagne (Rebelion, 28-06-2006)

Le gouvernement espagnol a rapatrié secrètement au Sénégal 189 immigrants qui étaient arrivés aux Canaries à bord de “cayucos » la semaine dernière, a révélé le Ministère de l’Intérieur selon una version d’hier du quotidien El País. Selon cette source les transferts se sont effectués en sept vols de nuit, qui ont atterri à Dakar entre le lundi 19 et le samedi 24 de ce mois. Le Ministère de l’Intérieur a confirmé que les policiers escortant les Africains ont donné à chacun d’eux 300 euros, afin qu’ils puissent commencer à refaire leur vie. Un fait semblable était arrivé pour les rapatriés au Cap Vert. [...]

2) Analyse sociale

“On veut faire passer les travailleurs agricoles dans des réserves pour Indiens”( Interview de Diego Cañamero, Secrétaire général du SOC - syndicat des ouvriers de la campagne - d’Andalousie, Rebelion, 02-07-2006, par Ricardo Martín de Diagonal, un excellent quinzomadaire qui sera analysé, avec d’autres revues alternatives, dans le prochain n°)

Le SOC est un référant pour la campagne andalouse. Sa défense des droits des ouvriers agricoles et des immigrants, de la souveraineté alimentaire et de la réforme agraire se heurte au schéma officiel d’une campagne dépeuplée.

DIAGONAL : Comment les récentes modifications des pensions touchent-elles les ouvriers agricoles et quel est le futur que el Gouvernement réserve au régime spécial agraire de la Sécurité sociale ?

DIEGO CAÑAMERO : Les Pactes de Toledo [vers 2000] ont déjà montré leur objectif de liquider ce régime. Avec le dernier pacte sur la Sécurité sociale un nouveau tour de vis est appliqué et en janvier prochain nous verrons exactement les plans du gouvernement, des syndicats officiels et de la patronal pour les ouvriers agricoles. Depuis le décret coup de poing de la droite [vers 2002], nous assistons à une politique pour faire passer les travailleurs agricoles dans des réserves pour Indiens, avec les pensions les plus basses, des incapacités professionnelles et beaucoup moins de droits que les travailleurs d’autres secteurs, en dépit du fait qu’ils cotisent davantage à la Sécurité sociale. C’est une discrimination évidente.

D. : Peu après le 1 Mai, le gouvernement, la patronale et les Commissions et l’UGT ont signé une nouvelle réforme du Travail. Ces trois parties l’ont présentée comme une réforme qui veut mettre un terme à la temporalité, et en même temps le licenciement est moins onéreux. Est-ce que ce n’est pas contradictoire ?

D.C. : Absolument contradictoire. La réforme du Travail aiguise les pires côtés de la précarité. D’abord, le licenciement revient moins cher, bien sûr, il est au bon vouloir du patron et il se rapproche de plus en plus de la gratuité. Les rapports professionnels empirent, et cela entraîne davantage de pouvoir au patronat et génère une absence de défense des travailleurs. Et ensuite, aucune mesure spécifique n’est prise dans les secteurs les plus touchés par la temporalité (campagne, bâtiment, hôtellerie, télémarketing, etc...) pour freiner l’avalanche de contrats temporaires, bien que la majorité d’entre eux soit signés en marge de la loi. Nous ne croyons pas beaucoup que cela va changer la réalité de l’embauche après cette réforme.

D. : Que penses-tu de l’attitude de Commission et de l’UGT sur cette réforme ?

D.C. : L’attitude des syndicats officiels a été celle qu’on attendait. Bien sûr, cela ne nous a pas beaucoup surpris, parce que leur dernière stratégie est de pactiser à n’importe quel prix. Nous croyons que c’est une erreur que de signer des accords sans consulter les bases, sans mobilisation sociale et sans garantir que ces mesures vont favoriser les travailleurs. Si ceux qui signent étaient affectés par les normes signées, ce serait probablement une autre situation.

D. : Quelle est la situation du SOC sur les plans des adhésions, de la croissance et des lignes de travail ?

D.C. : Nous enregistrons une poussée spectaculaire ces derniers temps, avec l’incorporation de nombreux travailleurs et collectifs. Notre lutte porte ses fruits et des projets comme les coopératives de Humoso de Marinaleda se consolident, de plus en plus de gens viennent au syndicat, des luttes jaillissent dans d’autres secteurs (bâtiment, métal, hôtellerie, nettoyage, etc.). Quant à la lutte des travailleurs étrangers, nous pensons qu’ils doivent jouir de tous les droits : papiers, travail digne et logement. Dès que nous détectons une situation qui n’est pas conforme, nous la dénonçons automatiquement, parce que nous considérons que nous devons tous avoir des droits identiques. Sur ce plan le travail des camarades du SOC de Almería est particulièrement important ; c’est une référence évidente dans la lutte pour les droits des travailleurs étrangers. En général c’est un bon moment, mais nous avons beaucoup de chemin à faire.

D. : Il y a des mouvements de gauche qui avancent que le modèle syndical n’est plus valable pour la lutte des travailleurs du passé, ankylosée, qu’en penses-tu ?

D.C. : Le modèle syndical doit être adapté aux temps actuels, c’est tout. Nous concevons le syndicat comme un outil. Ni plus ni moins. Le jour où l’outil ne servira pas, sera rouillé ou ne marchera pas, à la poubelle. Mais actuellement ce n’est pas le cas. A partir d’un syndicat comme le nôtre, on lance de nombreuses initiatives, on donne de la vie au milieu rural et on lutte inlassablement pour la dignification des travailleurs. Ce qui ne sert pas, c’est un syndicat de structures, de réunions, de permanents, de plus de réunions et plus de siège officiels. Il faut construire des syndicats au ras des boîtes, c’est la clé.

D. : La dernière question est sur le futur du SOC, quelles sont les attentes vis-à-vis de l’initiative que vous soutenez du Syndicat andalous du travail (SAT) ?

D.C. : Le projet du del SAT est encourageant. Nous avons des contacts avec d’autres organisations syndicales d”Andalousie et nous discutons sur la meilleure formule possible pour le mettre en place. Nous savons qu’il y a beaucoup d’espoirs sur ce projet et nous ne pouvons pas échouer. L’unité des travailleurs est toujours la clé de la victoire et c’est pourquoi unir sous un même parapluie tous les travailleurs, quel que soit leur secteur, génère un effet multiplicateur et peut servir de catalyseur des meilleures expériences du mouvement ouvrier.

D. : Où en est la plainte contre la duchesse d’Alba ?

D.C. : Nous avons déposé contre la duchesse une plainte pour injures, reçue par le tribunal et bientôt le procès va avoir lieu. Nous souhaitons que cette fois la Justice ait plus de poids que l’argent et que la duchesse ne puisse l’emporter. De son côté, la police a porté plainte contre nous pour désordres publics et nous avons été condamné à une amende de 90 euros, qui nous avons contestée et nous attendons le résultat. La duchesse a aussi porté plainte contre nous, mais sans fondement, parce que notre critique n’est pas personnelle, c’est une dénonciation sociale, humaine, syndicale et politique. Il est irraisonnable qu’une personne accumule 30.000 hectares de terrain, reçoive des millions des fonds européens et qu’en plus on le récompense pour ça.”

Voir Argentine info n° 12 pour Repsol et les multinationales espagnoles dans le monde.

3) Récupération de la mémoire

La CGT organise à Madrid le 19 juillet une présentation de l’exposition “ La Révolution libertaire ”, avec plusieurs intervenants. Cette exposition sera visible à l’Ateneo durant une semaine, avant d’être itinérante en automne.

De nombreuses commémorations, par la CNT et la CGT, sont annoncées dans tout le pays.

La revue du syndicat Solidaridad Obrera, El Solidario, n° 12, printemps 2006, consacre un important dossier, très objectif, à Cipriano Mera, maçon, puis ayant le grade équivalent à général pendant la révolution, puis maçon. Il disait dans les années 1970 (au local de Frente Libertario - les cénétistes expulsés de la CNT en exil - rue Saint Denis, à Paris) « Mi mayor victoria, la paleta », ma plus grande victoire la truelle.

Né en 1897 à Madrid, il commence à travailler en 1913 dans le bâtiment et à militer dans l’UGT socialiste, les deux influences venant de son père. Il s’émancipe de la seconde en passant à la CNT où il acquiert une forte expérience. Le cénétiste fameux, Miguel González Inestal, inscrits sur les listes noires patronales, fut embauché comme aide maçon par Cipriano, « connaissant mon inexpérience du métier et sachant qu’au moins au début il aurait à faire son travail et le mien. Je sais que je n’ai pas été le seul, car j’ai constaté son esprit de solidarité, surtout avec ceux qui lui était proche idéologiquement. Alors son dévouement était sans bornes. Sa formation culturelle, à l’époque, était très élémentaire, mais avec un terrible effort de volonté, il profitait de chaque moment, sur le chantier ou chez lui, pour se plonger dans la lecture du livre choisi, qui ne manquait jamais dans sa boîte à outils. »

Cipriano Mera participa au soulèvement raté de décembre 1933 en Aragon pour réaliser le communisme libertaire. Le 19 juillet 1936 il est libéré de la prison où il se trouvait à cause de la grève du bâtiment UGT-CNT. Il s’engage dans une colonne de miliciens qui occupe Alcalá de Henares, Guadalajara, Cuenca. Il y démontre sa compétence de stratège. Il participe à la défense de Madrid en novembre 1936. Il est commandant de la division 14 formée de miliciens anarchosyndicalistes. En 1937, c’est un des artisans de la victoire de Guadalajara sur les forces italiennes de « volontaires ». En octobre 1937 il est nommé chef du IV corps d’armée. En mars 1939, il est la clé du putsch de toutes les organisations républicaines- sauf le PC -, dans la junte Casado contre le gouvernement de Negrín pour négocier la reddition en permettant aux personnes les plus compromises de quitter le pays. Des divisions communistes proche de Madrid se rebellent et celles de Mera les écrasent au prix de sanglant combats et de l’exécutions de quelques officiers communistes.

Alors que Casado pactise à l’amiable des conditions qui seront toutes annulées par Franco (mais acceptées par ses subordonnés), Mera était partisan de menacer de faire sauter les mines de mercure d’Almadén en y concentrant quelques milliers de prisonniers franquistes, afin de garantir un dialogue constructif avec Franco. Mais cette proposition ne fut pas mise à exécution et des milliers d’exécutions de républicains suivirent.

Exilé en Afrique du Nord, il est extradé vers l’Espagne franquiste par Pétain en février 1942 [comme pour Peiró - cénétiste - et Companys - catalaniste bourgeois - qui furent ensuite fusillés]. Il apprend en prison à Madrid que son fils Sergio, de 9 ans, est mort de faim. Le 26 avril 1943, il est condamné à mort, mais le 28 juillet sa peine est commuée, comme celle de 70 autres exécutables. Gracié sans l’avoir demandé, il participe à la CNT clandestine, qui l’envoie en 1947 en France pour informer l’exil.

Il cherche à y apaiser les tensions entre les deux CNT en exil, en 1961 elles se réunifient. Mera stimule la lutte antifranquiste au début des années 1960 des jeunesses libertaires, ce qui inquiète la tendance immobiliste de la CNT en exil. Au congrès de la CNT en exil de 1965 à Montpellier, un camarade dont le nom m’est inconnu (pour le moment) lui décocha « Il aurait mieux valu qu’on te fusille ! ». Bel exemple de sectarisme et d’éthique de merde (on peut supposer que ce cénétiste n’était pas conscient qu’en disant cette ânerie, il admettait un front commun cénétiste de sa tendance et franquiste contre les « hérétiques »).

Logiquement expulsé de cette étrange CNT en exil au congrès de Bordeaux en 1967, Mera continuait à travailler comme maçon. Il participa à mai-juin 1968, comme tout le monde. En 1972, il prend sa retraite et sur sa modeste pension, il prélevait mensuellement sa cotisation pour Frente Libertario, groupe et publication formés d’expulsés de la CNT en exil. A 78 ans, le 24 octobre 1975 à Paris, Mera achève son périple. Son enterrement réunit beaucoup de monde, dont les cénétistes qui l’avaient expulsé. Ils eurent l’impudence de « s’approprier de sa mémoire, une fois sa mort venue. »

Une interview de sa nièce et de la fille d’un cénétiste ami donne des détails intimes sur sa famille. « Ça n’a pas dû être facile du tout de vivre avec quelqu’un comme Cipriano pour qui le mouvement libertaire passait avant tout. C’était un combattant né, moralement convaincu. Pour la majorité des femmes qui ont vécu aux côtés de personnes ainsi, qui ont dû pratiquement partager tout avec les « idées », ou bien le contraire lorsque c’était la femme qui vivait le mouvement, pour le compagnon ou la compagne, la vie quotidienne a été très dure. [...] Evidemment pour Cipriano son idéal comptait davantage que sa famille. Il a tout donné à son idéal, et à sa femme, qu’il aimait tellement, il n’a pas donné autant. »

Cela explique ses mauvais rapports avec son fils Germinal, peu enclin à un militantisme aussi fort, et qui s’éloigna de son père, mais fut fidèle à sa mémoire lors des obsèques.

Ses mémoires malheureusement trop brèves viennent d’être rééditées en Espagne par « différents collectifs libertaires (CGT, CNT Catalunya-FELLA, Solidaridad Obrera, Fundación Salvador Seguí, La Malatesta editorial, Los Sueños de la Hormiga Roja et le syndicat du Bâtiment, Métal et Bois de la CNT-AIT Madrid). » (Rojo y Negro, juin 2006). Une union qui aurait ravi Cipriano.

Commentaire personnel obligatoire : il est d’usage de considérer notre idéal comme le meilleur. Dans le cas du marxisme, il existe des penchants du « maître » qui poussent tous ses disciples au sectarisme (il suffit de lire les appréciations sur l’anarchisme de Lénine ou de Pannekoek, pourtant ennemis l’un de l’autre).

Contrairement à la logique interne de l’anarchisme social de Bakounine et de Kropotkine, et même des idées libertaires en général (y compris la stupidité qui consiste à nier la lutte de classes), le sectarisme n’est pas une résultante de l’idéal. Par contre, les sectaires y sont légion. La vie de Cipriano nous en montre une foultitude. La vie personnelle et le militantisme, bien mise en valeur depuis mai 1968 (avec ses dérives ombilicales ou d’autocritique en collectivités, assez proche des procès staliniens et moïstes et d’origine totalement judéo-chrétien, soit dit au passage) est complexe puisqu’on vit à trois (le couple et l’idéal) ou à quatre ou cinq, etc., (les mêmes plus l’enfant ou les enfants). En fait, ce serait la même chose pour un conjoint ayant une profession, un penchant envahissant et envahisseur. Si le couple est faible, il casse ; s’il est capable d’altruisme, il se poursuit.

Dans le cas de Cipriano et de son fils, - avec Teresa, sa compagne il existait des liens d’admiration réciproques évidents -, il est certain que Cipriano n’a pas su montrer à Germinal que sa solidarité était fructueuse. A un moment où la CNT était divisée, où son père était traîné dans la fange par certains de soit disant camarades cénétistes, le fils ne pouvait accepter tous les sacrifices de Cipriano pour le Mouvement, sans le prendre pour un idiot ou rêveur coupé du monde. Un exemple à méditer pour tous.