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L’anarchosyndicalisme et le syndicalisme révolutionnaire
jeudi 14 avril 2005
Certains, y compris des libertaires, pensent que l’anarchosyndicalisme appartient au vieux mouvement ouvrier et relève du passé. Certes, la société a changé et, pour nous, il ne s’agit pas de plaquer sur la réalité sociale d’aujourd’hui un modèle en partie élaboré au siècle dernier. Une expérience prestigieuse qu’il s’agirait de répéter.
Si nous écartons évidemment cette méthode, pour autant nous ne prétendons pas partir de rien. De l’anarchosyndicalisme historique qui rappelons le, ne se limite pas à la seule expérience espagnole, mais recouvre un espace international beaucoup plus important, nous gardons principalement une stratégie qui nous paraît encore actuelle et toujours opérationnelle, ici et maintenant.
Sur ses formes
Sur notre "héritage historique, bien des questions restent en suspens. Devons nous maintenir l’idée de syndicalisation de la société future ? Historiquement, le syndicalisme révolutionnaire fondait la réorganisation sociale en donnant aux seuls syndicats le pouvoir de construire la société de l’avenir. Aujourd’hui, cette conception peut sembler bien rigide... De même, l’organisation syndicale peut-elle encore être considérée comme un lieu central, censé résoudre tous regroupement des salariés actifs ou pas (chômeurs, précaires, etc.), nous persistons à la défendre et à la proposer comme mode d’organisation. Car l’anarchosyndicalisme, qui reste favorable à toute initiative d’auto-organisation, traduit une nécessité : celle de s’organiser en permanence et systématiquement, à la différence du spontanéisme ou encore des éphémères coordinations.
La figure idéale de l’ouvrier d’usine représente-t-elle encore la totalité de notre champ de syndicalisation ? Ou bien le concept de classe sociale doit-il être affiné pour prendre en compte les réalités de notre temps ?
Enfin, l’idée de « syndicalisme de masse », cette conception du syndicalisme se donnant comme objectif de faire entrer dans ses rangs la majorité, sinon la totalité des salariés, est-elle encore à l’ordre du jour ?
Même si nous n’en sommes encore qu’à des balbutiements, la CNT peutelle s’interdire un réel développement, afin de mettre en pratique sa stratégie de transformation sociale ?
Sur la méthodologie
Quant à la méthodologie sur laquelle s’appuie notre syndicalisme, nous pensons qu’elle reste actuelle, toujours applicable et à la portée de tous. Elle est non seulement opérante, mais aussi formatrice. Elle contient potentiellement le dépassement nécessaire entre la partie réformiste de notre syndicalisme et celle, révolutionnaire, en devenir.
Ce que nous évoquons, c’est bien sûr le syndicalisme d’action directe, à qui nous prêtons des vertus autogestionnaires. Une méthode d’action comprise, bien évidemment, dans le sens syndicaliste et qui n’a aucun rapport avec le terrorisme, en dépit de ce que voudraient faire croire de nombreux journalistes. Un syndicalisme d’action directe, dont l’exercice, ici et maintenant, préfigure une pratique sociale à mettre en oeuvre dans une autre société. Car, finalement, l’an archosyndicalisme n’est que l’application immédiate du principe « prendre ses affaires en main » tant d’une manière individuelle que collective, appliqué sur tout le champ possible de la cité, dans l’espace de l’entreprise ou encore du quartier.
Cette méthode, nous devons l’introduire dans tous les conflits. Si, aujourd’hui, un certain nombre de mouvements sociaux l’empruntent comme moyen, elle reste encore trop limitée au seul cadre revendicatif. Trop d’acteurs du mouvement social demeurent imprégnés de la culture de parti et ne se basent finalement que sur des mesures gouvernementales. Aujourd’hui, leurs solutions semblent de plus en plus illusoires. C’est pourquoi l’an archosyndicalisine apparaît de plus en plus comme une alternative.
Pour nous, le syndicalisme, c’est une pratique, pas un métier.
La logique développée par les centrales syndicales « représentatives » c’est aux antipodes de la nôtre. Ce qu’elles veulent, c’est occuper de plus en plus d’espace institutionnel. Leur légitimité, elles la tirent de la reconnaissance que leur offrent leurs interlocuteurs patronaux et ministériels, pas leurs adhérents. Ainsi, elles proposent de plus en plus un syndicalisme de services dans lequel l’avocat devient le personnage central : comme aux États-Unis, le but est de satisfaire le client », en lui faisant gagner des procès. La conscience et l’action collectives, la volonté de changer le monde ont été évacués, même des discours.
L’échec de la politique de gauche en 1981, comme la faillite du marxismeléninisme, ont démontré que la socialdémocratie, réformiste ou pas, était une impasse stratégique. Et bien que cet échec se soit étendu à l’idée même de vouloir changer la société, les dégâts sociaux et finalement humains provoqués par les politiques des gouvernements successifs de droite et de gauche ont remis la question sociale à l’ordre du jour. Si, pour la grande majorité des travailleurs, aucune perspective révolutionnaire n’apparaît crédible et si, encore, le système politique et économique de la démocratie parlementaire reste leur seul horizon indépassable, il n’en demeure pas moins que la CNT revendique un projet social global. On le retrouve préfiguré à la fois dans son organisation autogestionnaire comme dans sa méthodologie.
À la violence inouïe du monde, aux inégalités croissantes, à la destruction des individus et de l’écosystème, qu’avons-nous à opposer ?
Imaginerait-on que l’on demande que soit mieux affûtée la lame qui doit nous décapiter ? Non ! C’est le système qu’il faut changer. À la confiscation de toutes les richesses par un petit nombre de financiers, nous opposons le partage de ce qu’entre tous nous produisons.
Aux systèmes de domination et de contrôle social, nous opposons la solidarité.C’est en cela que nous sommes révolutionnaires.
Les quelques tentatives de transformation radicale de la société qui ont eu lieu dans le siècle, pourtant vaincues et écrasées par la conjonction de tous les pouvoirs, ont ouvert des voies riches d’enseignements, même s’il ne s’agit pas pour nous de suivre quelque « modèle » que ce soit. Encore une fois, c’est l’action concrète et collective des hommes et des femmes qui définira, pour elle-même et par elle-même, le monde différent qu’ils et qu’elles voudront construire.
De toute façon, l’alternative entre barbarie ou socialisme n’a jamais été aussi vitale et posée en termes même de survie de l’humanité. Sans changement radical et rapide, le vieux monde risque fort de nous entraîner dans des catastrophes sans retour.
Des armes toutes rouillées ?
Lorsqu’à la fin du XIXe siècle, les anarchistes se font les apôtres de la grève générale, à l’aube de la Première Guerre Mondiale, leur proposition recueille la raillerie de la quasi-totalité des autres courants socialistes (social-démocrates, trade-unionistes ...)
Depuis, la grève générale, convoquée ou pas, est sortie de son cadre utopique pour se matérialiser à de nombreuses occasions. Sans aller très loin dans l’histoire, il nous suffit de penser aux événements de mai 68 en France, ou plus près de nous encore, à ceux de Pologne, pour être persuadés de sa force et de son impact.
Sans nous étendre davantage, ce que nous retiendrons de la grève générale, c’est qu’elle garde toute ses potentialités.
Mais il existe d’autres formes naturelles d’action du mouvement syndical, comme le sabotage et le boycottage, qui, elles non plus, n’ont rien perdu de leur efficacité.
Prenons comme exemple un type d’action non violent : le boycottage. Dans le contexte actuel de la production alimentaire, où manger devient dangereux (scandales de la vache folle ou de l’huile frelatée en Espagne), on se demande pourquoi cette forme d’action n’est pas organisée de manière plus systématique. Ce qui est en jeu pour le syndicalisme, en faisant appel chez les salariés à plus de conscience, c’est l’accès à une autre dimension revendicative, plus qualitative, voire écologique.
On peut ajouter à ces types d’action les grèves gestionnaires, dont le conflit de Lip fut le modèle exemplaire dans les années 70. Ce sont tous les moyens d’action, violents ou non violents, individuels ou collectifs, s’exerçant sans intermédiaires, sans spécialistes de la négociation ou de l’action, que nous rassemblons sous le vocable d’action directe.
Anarchiste la CNT ? Non... et oui !
Non, parce que c’est une organisation syndicale, qu’elle rassemble des salariés, des précaires, des chômeurs et d’une manière générale toutes les victimes du système économique dominant, et qu’aucune exigence idéologique n’est formulée pour y adhérer. Non, parce que nous pensons que les solidarités de classe transcendent toutes les divisions et que ceux que l’on appellait autrefois les prolétaires trouvent spontanément, dans le concret de leur vie quotidienne les moyens des convergences les plus enrichissantes.
Mais la CNT d’aujourd’hui, si elle sort des catacombes, ne naît pas du néant.
Alors, oui ! La CNT s’inscrit dans une filiation anarchiste et libertaire. Lorsqu’il y a cent cinquante ans s’est constitué le mouvement ouvrier, deux tendances sont apparues. L’une, dite autoritaire, a affirmé la prééminence du politique sur le syndical, la nécessité d’une avant-garde éclairée pour guider les masses, la conquête du pouvoir d’État comme préalable à la transformation de la société. De ce courant sont nés les partis socialistes et communistes. Les partis de « gauche » et d’extrême gauche » d’aujourd’hui ne sont souvent que les avatars de ce courant, leur version édulcorée. On leur doit quelques-unes des plus effroyables calamités du siècle. L’autre, dite libertaire, était présente dans l’Association internationale des travailleurs du siècle dernier. Elle s’est prolongée au congrès de SaintImier, dans l’AIT de 1922 à Berlin... et dans la CNT renaissante d’aujourd’hui.
Alors, quand certains essaient de marginaliser la CNT en agitant l’épouvantail anarchiste (on le sait bien : une bombe dans chaque main et un couteau dans l’autre !), nous répondons avec beaucoup de sérénité : de tous les courants sociaux, religieux et politiques qui ont traversé le siècle, il n’en est pas un qui ait été moins meurtrier
Et, en ce tournant de siècle, alors que tous les systèmes idéologiques s’effondrent dans leur quête insatiable du pouvoir, seule la référence libertaire et l’éthique qu’elle sous-tend gardent quelque crédit, au point même de servir parfois d’alibi publicitaire !Non, parce que nous pensons que les solidarités de classe transcendent toutes les divisions partisanes et que ce qu’on appelait autrefois les prolétaires (un mot qui nous plaît
Organisation d’une société égalitaire, fédéraliste et autogérée
On nous demande parfois PAR QUOI nous remplacerions le système actuel si nous en avions la possibilité. Voici quelques éléments de réponse...
Comment ? La CNT ne soutient aucun parti politique et ne place aucun espoir dans la voie électorale. Elle défend un processus de transformation révolutionnaire fondé sur l’autonomie du mouvement social. Celui-ci, aujourd’hui véritable contre-pouvoir potentiel, pourrait demain - s’il prenait conscience des ses capacités - se substituer aux autorités capitalistes et étatiques (à la faveur d’une grève générale inter-professionnelle par exemple).
Par quoi ? Pas question pour la CNT d’élaborer un projet de société " clefs en main " ! Profondément autogestionnaires, nous pensons en effet que c’est à ceux et celles qui seront directement confrontés à un processus révolutionnaire de s’atteler à cette tâche. Elaborer un tel programme serait d’ailleurs complètement illusoire compte-tenu du fait que le monde évolue sans cesse (dans ces conditions, un programme bien ficelé risque de devenir obsolète ou, pire, de se transformer en dogme indépassable). Ceci étant dit, sans tomber dans les travers énoncés ci-dessus, il n’est pas inutile - dans le contexte actuel - d’avoir une idée générale de cet autre futur auquel nous aspirons...
Une démocratie directe
Pour la CNT, la commune (ou groupement de communes), cellule de base de la vie sociale, s’administre librement en dehors de toute tutelle étatique. Regroupant tous les individus, unités de production et associations d’une ou plusieurs localités déterminées, fédérée sur le plan cantonal, régional et national, la commune prend en charge, par la création d’organismes spécialisés, l’économie locale et les services publics (consommation, habitat, santé...). Son fonctionnement, quartier par quartier, repose sur la gestion directe : assemblées générales par unités de voisinage, définition précise des mandats, envoi de délégués révocables à tout moment au plénum communal, réunion de celui-ci en séance publique et retransmission en direct des délibérations sur radio ou télévision locales, etc. Un tel fonctionnement écarte de cette manière les notables qui, aujourd’hui, monopolisent l’administration de la cité. Quant au gouvernement, il est remplacé par une structure de coordination composée de délégués issus de la fédération des communes et de délégués issus des fédérations des différents secteurs économiques, révocables et remplaçés régulierement.
Des entreprises autogérées
L’exploitation agricole, l’usine et le bureau sont gérés par tous ceux qui y travaillent. Les délégués, mandatés avec précision en assemblée générale et réunis en conseil, sont chargés de coordonner la production. Ils sont révocables à tout moment et leur tâche ne s’accompagne d’aucun avantage particulier. Il va de soi que ces délégués ne peuvent se fixer à un poste de responsabilité plus d’un certain temps. La formation continue permet de lutter contre la parcellisation des tâches et fait en sorte que certains savoirs professionnels ne se transforment pas en instruments de domination politique. La hiérarchie des fonctions et des salaires est abolie, laissant ainsi place à une véritable égalité économique et sociale. Quant à la durée du temps de travail, elle est considérablement réduite, compte tenu de la suppression des tâches reconnues socialement inutiles, de la réorganisation des forces productives et de l’utilisation nouvelle des technologies de pointe. Afin d’éviter tout repli sur soi, les conseils d’entreprise sont rattachés inter-professionnellement (mais aussi par secteur d’activités pour les questions techniques) à une fédération locale, régionale et nationale, d’où pour toute décision un mouvement de va et vient entre les structures de base et les organismes de coordination. Cette fédération qui s’appuie sur le travailleur (unité économique) constitue avec la fédération des communes, fondée sur l’individu (unité politique), une organisation sociétaire duale liée à différents niveaux par une structure commune de coordination.
Une économie distributive
C’est aux conseils d’économie liés aux communes, ainsi qu’aux coopératives de consommateurs et à leurs fédérations, que revient le rôle de planifier la production en fonction des données démographiques et des besoins exprimés par la population. L’économie est ainsi fondée sur la satisfaction des besoins de tous, non sur les profits. Contrairement au mécanisme actuel, c’est la consommation qui oriente la production. En ce qui concerne les échanges destinés à obtenir les produits nécessaires pour couvrir les nécessités de tous, plusieurs solutions sont possibles pour passer d’une économie marchande à une économie distributive. Outre la gratuité totale des services de première nécessité (transports en commun, médecine, etc.), le compte de chaque individu peut être crédité automatiquement, tous les ans par exemple, d’une somme répartie égalitairement et calculée en fonction de la richesse collective du moment. Pour éviter toute thésaurisation excessive, la monnaie utilisée à cet effet peut être une " monnaie fondante ", c’est à dire une monnaie informatique se dévaluant progressivement en fonction du rythme général de l’économie, jusqu’à s’annuler au bout d’une certaine période. Les phénomènes de spéculation peuvent également être supprimés à l’échelon industriel par une plus grande transparence des mécanismes financiers (regroupement du réseau bancaire,, etc.) et par la création éventuelle d’un circuit monétaire spécifique réservé à l’achat des biens de production effectué par les entreprises. Enfin, une décentralisation économique est mise en place ainsi qu’un système inter-régional de péréquation pour éviter les déséquilibres entre régions " pauvres " et régions " riches ".
Des transformations en profondeur
Bien sûr, la CNT ne conçoit pas l’alternative à la société actuelle uniquement sous l’angle d’une transformation de l’organisation économique et politique. Ses réflexions et propositions s’appliquent à l’ensemble des structures et des rapports sociaux : éducation, justice, culture, écologie... vastes domaines difficilement abordables dans le cadre restreint d’un site internet.