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Salut à Didier Leboeuf de la FFTE d’Ariège

mercredi 28 juin 2006

Didier Leboeuf, notre ami, camarade de lutte, paysan, nous a quitté brutalement jeudi 22 juin, terrassé par un malaise cardiaque à l’age de 44 ans. Infirmière puis pompiers et SMUR, très rapidement sur place ont œuvré sans succès pour nous le ramener à la vie. La majorité d’entre vous l’ont croisé et entendu exprimer ses opinions, parfois provocantes mais laissant toujours la discussion possible et le désir d’avancer ensemble. Parmi les nombreuses lectures dont il nous abreuvait, je désire vous adresser un texte de lui peu diffusé, écrit en contribution/réponse à la « Sixième déclaration de la forêt lacandone » et pour l’occasion d’une rencontre autour du « Projet d’aide à une communauté indigène du Pacifique colombien » ; je l’y retrouve dans toute son intégrité. Merci pour tout ce qu’il nous a apporté et courage à Fabienne, Lucie, Camille et Quentin pour qui son absence va être particulièrement cruelle. Amicalement, Ces potes et camarades.

Hommage Didier Leboeuf de la FFTE d’Ariège

Lettre aux natifs zapatistes, colombiens, boliviens et tous les autres encore humains luttant pour leur altérité.

Je vis dans une ferme au cœur des Pyrénées, dans un lieu inconnu de vous , un lieu où il y a bien longtemps des hommes et des femmes luttèrent contre l’Etat pour survivre et conserver leur identité ; mais cela semble un passé enfoui très loin dans les mémoires.

Il fait nuit noire, tout le monde est sensé dormir mais pourtant j’attends, je veille car une vache danse d’un pied puis de l’autre. Elle s’appelle Maya et attend son veau qui naîtra normalement cette nuit. La solitude de la nuit est propice à la réflexion et quelque chose ce soir me relie à vous. Ce n’est pas que le nom de ma vache ; ce serait plutôt, « le monde comme il va ».

Je vous écris non parce que je vois en vous des militants d’un autre monde porteurs d’idéologies universelles mais parce que ce que j’aie vu et entendu de vous est avant tout une lutte pour la survie physique et au-delà celle de votre identité qui fait de vous des humains.

Vos mots, vos manières de vivre et de lutter, votre lien avec la nature ne font que me révéler un peu plus le désert s’approfondissant chaque jour dans nos sociétés occidentales.

Vous disparaissez et mourrez chaque jour dans toute votre humanité pendant que chaque jour nous survivons dans notre inhumanité.

Notre mal vient de très loin et il est d’autant plus difficile à analyser avec des mots simples comme vous savez le faire. Nous sommes une civilisation de l’écrit qui délaisse la parole et j’en suis aussi un reflet.

Depuis le début de notre histoire occidentale, l’homme est passé d’un souci d’émancipation de la nature à celui de sa domination. Avec le triomphe d’une pensée scientifique se suffisant dans sa rationalité et plus récemment sous l’impulsion des révolutions industrielles du XIX ème et XX ème siècle, la domination de la nature pousse l’homme à la rejeter en dehors d’une normalité qui n’a en fait d’autre justification que ses intérêts marchands. Son pouvoir technique lui permet aujourd’hui de la façonner, de la recréer, de l’artificialiser ; qu’importent les effets, les risques, les destructions humaines ou environnementales pourvu que les innovations régénèrent un marché contraint de se renouveler en permanence sous peine d’imploser. Dans cette méga machine l’homme n’est plus qu’un rouage et s’est réduit lui-même à l’état d’objet, ou plutôt de marchandise.

Dans ce monde qui nous enferme, l’homme est tracé, fiché, contrôlé. Tout est conditionné pour produire, consommer et encore produire. Les effets de l’industrialisation et de la technique (automatisation, cybernétique, mécanisation) en dévaluant l’humain, exclu de cette course une grande partie de la population. Le système capitaliste n’a d’autre recours que de mettre en place au fur et à mesure de ses avancées techniques un appareil cœrcitif et sécuritaire toujours plus sophistiqué. La vidéosurveillance est généralisée, la biométrie est à l’ordre du jour jusque dans les écoles maternelles, la médicalisation, la psychiatrie, la reprise en main de l’éducation par les institutions publiques soignent toutes les déviances et les contestations de cette société malade.

Cette année dans notre petite ville de campagne, on envisage pour carnaval de faire défiler les enfants de maternelle (3 à 6 ans) encadrés par l’armée.

Nous ne sommes plus rien sans nos prothèses techniques, institutionnelles et médiatiques (télévision, automobiles, téléphones mobiles etc....). Nous ne concevons la nature que domptée et stérilisée. La moindre maladie, la moindre douleur est perçue comme une déclaration de guerre et aujourd’hui nous voyons les oiseaux comme des rats avec des ailes.

La servitude volontaire, celle du droit, du travail, celle des concepts creux de nos démocraties est le seul et unique pilier de la consommation.

Nous avons accepté l’absence d’échange entre individus, entre nous même et la nature, et enfin entre nous même et nous-même.

Aujourd’hui le rail du progrès dont il nous reste à démontrer qu’il est possible de sortir, avec les nanotechnologies, les biotechnologies, la cybernétique les technologies de l’information, arrive à un stade où non seulement l’homme est capable de franchir la barrière de espèces mais en plus en créant et modifiant l’atome, celle séparant la matière du vivant ; homme- machine la notion de « transhumanisme » est maintenant dans notre vocabulaire.

Les effets directs et indirects de cette nouvelle industrialisation ne manqueront pas d’exacerber de nouvelles tensions sociales partout dans le monde. Il ne fait aucun doute que les premières applications seront de mettre en place un arsenal militaire et de contrôle des populations, total et sans précédant. Celui-ci créera lui-même un nouveau marché, le militaire devançant le civil, les exemples ne manquent pas (nucléaire-Iroshima, défoliant-Vietnam, internet- usage militaire). Absous par une prétendue neutralité de la science, l’homme occidental s’engouffre allègrement dans ce processus, illuminé par le mythe de la modernité qui le valorise comme un lapin éblouis par les phares d’une voiture, il en est son plus fidèle servant. Le jour où le paysan a renoncé à une gestion libre et collective des pâtures pour ses bêtes, il acceptait dans les faits le mécanisme qui le contraint aujourd’hui à marquer électroniquement son cheptel (puce électronique hypodermique obligatoire) ; et bientôt au tour du cheptel humain ; c’est déjà bien en route (bracelet électronique, carte biométrique, marquage électronique sur des humains à titre expérimental et commercial etc).

Dans notre monde, l’homme n’est plus un être de nature mais un mutant ; il perd peu à peu toute consistance.

Même s’il y a ceux qui évoluent avec aisance dans cette Babylone, ceux qui assouvissent leur désir de domination, même s’il y a ceux qui y adhèrent par contrainte tout en soignant leur schizophrénie dans l’oubli, le spectacle, la chimie ou simplement la consommation, même s’il y a ceux qui sont rejetés, hors concours, ce jeu de dupe n’a pas de vainqueur car même les dominants présentent la fin. Rien ne va plus, circulez ! Le train est lancé vers sa voie de garage, tous les dispositifs de guidage et de freinage ont grillé. Ces dispositifs se sont toutes les idéologies présentes et passées qui ont fait défaut. Comment croire en effet que cette situation dépend de la seule volonté alors que nous sommes dans un système totalitaire qui vient de très loin et dont nous nous sommes rendus totalement dépendants, porté d ’une main de fer par la pensée scientifique occidentale elle-même dupe de son idéologie ?

Les libéraux pur jus croient en l’économisme comme les jésuites en la vertu chrétienne, c’est-à-dire de manière intéressée ou partisane. Ils sont le bras séculier de notre époque. Ceux-ci croit-on sont bien identifiés ; le problème c’est que la contestation attends depuis des décennies après une gauche qui ne voit dans la barbarie du système qu’une question de répartition et d’accès au bien être du « progrès ». La sociale démocratie ne jure que par l’intervention de la classe politique dite « représentative » qui s’est elle-même rejetée depuis longtemps hors du social. Ils ne prétendent pas être autre chose que des gestionnaires de ce système. Les citoyénnistes eux, continuent à clamer « liberté, égalité, fraternité » ; autant de concepts vidés de sens dans cette réalité qu’ils se gardent bien d’affronter autrement que par l’intégration et l’adaptation. Les alter mondialistes quand à eux font de grandes prouesses intellectuelles tout en restant dans l’orthodoxie économiste, pour décréter une décroissance à géométrie variable, alors que le capitalisme n’a jamais jugé utile de décréter sa barbarie. Tout ces bien pensant avec leurs ONG satellites et leurs fondations patronales vous promettrons du développement à la sauce commerce équitable, à coup de normes HQE, vous entretiendront dans la même illusion qui les bercent, celle des droits de l’homme, du droit du travail, du droit de propriété, du droit tout court qui vous préservera de votre destruction programmée par d’autres. Tous ces droits, ces concepts ne sont que les modalités d’un contrat social qui ne vise qu’à l’acceptation de notre soumission à notre propre destruction en tant qu’humain. La constitution colombienne de 1991 ou plus récemment le gouvernement Lula du Brésil ont donné aux indigènes et aux sans terre la propriété de territoires. Une avancée pourrait-on penser. Dans les faits le résultat étant qu’en donnant des territoires qui de toute manière ne leur appartenaient pas, ils peuvent ainsi s’approprier tout le reste avec leurs ressources et enfermer ainsi ces populations indésirables dans des réserves qui deviendront autant de sites touristiques ; ou alors exacerber quelquefois l’individualisme de la propriété et ainsi par les règles du marché recoloniser en toute légitimité « droit de l’hommiste » les territoires autrefois pris par les armes ; l’honneur est préservé sauf que de toutes manières les armes sont bien là, derrière la façade de l’intérêt d’Etat.

L’enfer est pavé de bonnes intentions pourrait-on dire quand on veut à tout prix éviter un conflit ouvert qui conduirait à son propre dépouillement. Cette refonte de la gauche évitant le conflit ne serait-elle pas la future normalisatrice idéologique de demain au nom de principes de tolérance et de neutralité mais qui ne sont que des principes, ces principes qu’un penseur nommé Marcuse qualifiait de « tolérance répressive » car « barrant la route d’avance à toute critique radicale de l’ordre établi dans ce qu’il a d’intolérable » à commencer par l’économisme et la technique, l’homme -machine ?

Survivants d’Amérique du sud (pas forcement latine) ! Si vous êtes encore vivants et si particuliers pour nous, après 500 ans d’oppressions brutales et de génocides n’est ce pas parce que vos valeurs, vos modes de vie collectifs votre symbiose avec votre environnement vous ont permis de résister. Aujourd’hui je crains que d’autres occidentaux, bien pensant ceux-là, nouveaux jésuites de la cause indigène viennent vous proposer l’adaptation et l’intégration à ce monde finissant ; de renoncer à votre identité, de l’enfermer. Vous avez pris les gifles et aujourd’hui on voudrait vous faire goutter à la caresse hypocrite.

Je perçois comme un effet de miroir avec notre condition. Le pays où je vis, la France, pays des droits de l’homme que la cours internationale des droits de l’homme vient d’épingler poliment pour sa condition carcérale jugée comme une des plus inhumaines au monde, où l’enfermement se généralise, où les tortures, les passages à tabac et autres humiliations quotidiennes sont savamment orchestrées, où sont enfermés des femmes et des hommes par centaines pour leurs idées politiques, des hommes des femmes, des enfants par milliers pour raisons politiques, cette France donc qui accepte explicitement jusque dans sa classe politique le caractère totalitaire du capitalisme n’a que sa devise républicaine pour justifier sa violence étatique et glisser vers une fascisation de moins en moins rampante et de plus en plus banalisée.

La sécurité n’est -elle pas revendiquée comme une condition de la liberté et de l’égalité comme le droit au travail et tout le reste ?

Cet abandon, ce vide que beaucoup ressentent nous fait baisser la tête ou nous fait regarder ailleurs ou derrière nous, jusqu’à parfois nous relever.

Si nous regardons autour de nous, en dehors des apparences médiatisées, alors nous voyons que nous ne sommes pas seuls à avoir rompu avec l’autodestruction de l’humain. Ici et là, les conditions façonnent les consciences pour que celles-ci façonnent à leur tour les conditions.

C’est avec ceux-là que je veux faire, en m’attachant au « comment » avant tout. Quand on regarde derrière, on voit ceux que le système n’a pas encore complètement avalé ; des jeunes surtout, mais aussi des vieux (plus rares), des exclus volontaires ou pas, et puis il y a les autres, ceux de là-bas, vous, qui n’êtes pas des exclus car jamais inclus.

Non, vous n’êtes pas une lutte exotique pour moi, mais dans la même réalité avec une autre conscience du monde. A nous il ne nous reste que la conscience d’être à une fin de partie, donc celle d’une nécessité de rupture. C’est pourquoi, je reprendrais une phrase bien à propos « aidez nous à être des indiens et nous vous expliquerons le capitalisme », si nous avons encore quelque chose à vous expliquer.

Notre monde occidental est pourri avant d’avoir mûri car il est normatif et combat l’altérité.

Il disparaîtra, l’homme avec, mais la terre, la « Pachamama » comme vous dites, restera ; peut-être irradiée pendant longtemps de nos immondices, mais restera.

La plupart me diront pessimiste, d’autres peut-être trop optimiste. Pour ma part, je pense que ces notions n’ont plus cours car toute projection est obsolète et nous coupe de la nécessité d’immanence.

Sans attendre après des lendemains révolutionnaires qui chanteront ou pire, après un au-delà, c’est ici et maintenant qu’il nous faut rompre. La seule chose à laquelle nous raccrocher est notre humanité :

Echanger, partager, jouir et ne pas céder à la tristesse à la peur qu’on nous inflige.

Ne pas se laisser vendre du rêve. Se battre, même pour rien mais pas dans la douleur.

Savoir se dépouiller pour mieux comprendre et ainsi s’enrichir de l’autre. Se passer des intermédiaires marchands techniques ou affectifs. Réapprendre à vivre ensemble, à s’organiser, à construire et à déconstruire dans une guérilla intellectuelle, physique et psychique. Saper le colosse par la base et disparaître, saper ou disparaître. Pratiquer le nomadisme pour ne pas se laisser enfermer. Muter à notre tour. Rechercher au quotidien notre autonomie, se contenter d’un toit, des légumes du jardin, des copains ou copines qui font de la musique ou du théâtre, sortir son fumier à la fourche plutôt qu’avec une machine et y prendre du plaisir ; grimper moins haut peut-être mais sans prothèse et avec les gens qu’on aime. Nous unir pour supporter les contraintes de ce systèmes aliénant et ainsi s’émanciper un peu mais sûrement tout les jours, sûrement et ensembles, sûrement et ici.

Voilà ! amis indigènes, natifs, amis en lutte, c’est dans ce monde là que je peux ressentir de la fraternité, c’est dans ce monde là que l’égalité peut avoir un sens et c’est dans ce monde là que votre liberté n’a pas de prix.

J’arrête maintenant car peut-être que Maya, ma vache aura besoin de l’homme auquel elle est attachée.

« Sur l’écran noire de mes nuits blanches » il y a au bout comme une lueur, un désir, une plénitude ; est-ce la vie ? La volonté ? Question sans réponse pour moi.

Un indigène d’Ariège, (entre la France et l’Espagne).